LE COUPLE DESUNI...
En voulant aider son ami Bush, dans l'invasion de l'Irak, Tony Blair s'est mis dans un sale pétrin. Désavoué dans son propre pays, humilié, acculé à une situation intenable, jouera-t-il jusqu'au bout le jeu du Missionné ?
La demande américaine de renforts britanniques embarrasse le gouvernement de Tony Blair.
La Grande-Bretagne étudie l'éventuel déploiement de certaines de ses troupes dans le secteur sous contrôle américain en Irak. Mais elle n'a pas l'intention de les envoyer à Bagdad ou à Fallouja, deux des villes les plus affectées par l'insurrection contre le gouvernement irakien et contre les forces de la coalition.
Le ministre britannique de la défense, Geoff Hoon, a confirmé, dimanche 17 octobre, les informations données à la veille du week-end par plusieurs journaux et par la BBC faisant état d'une demande des Etats-Unis auprès du Royaume-Uni de redéployer des troupes dans une zone plus proche de la capitale et potentiellement beaucoup plus dangereuse. Actuellement, la grande majorité des 9 200 soldats britanniques - dont 1 400 réservistes - présents dans la région du Golfe opèrent à l'extrême sud de l'Irak, dans les provinces à domination chiite de Bassora et d'Al-Muthanna, où ils encourent nettement moins de risques que les troupes américaines en charge des régions de peuplement sunnite.
Le redéploiement envisagé durerait "quelques semaines" et concernerait environ 650 soldats du bataillon écossais des Black Watch. Il placerait ces derniers sous commandement américain, une perspective que l'un des plus fidèles alliés de Tony Blair, le ministre de la santé, John Reid, s'est efforcé de dédramatiser en la présentant comme un événement opérationnel normal : "Il est arrivé plusieurs fois que des Américains se trouvent sous le contrôle des Britanniques. Ce sont des choses qui peuvent survenir à un niveau tactique dans une coalition."
Où ces soldats iraient-ils ? Ni à Bagdad, ni à Fallouja, a affirmé un porte-parole du ministère de la défense. Le bataillon concerné "n'a aucun plan pour se rendre" dans ces deux villes, a précisé le commandant Charlie Mayo, porte-parole militaire britannique à Bassora, interrogé par téléphone par l'agence Associated Press. Selon certains experts, les Black Watch pourraient prendre position à Iskandariya, au sud de Bagdad.
M. Hoon devait confirmer, lundi devant le Parlement, la demande américaine, mais, a prévenu un porte-parole, il devait insister sur le fait "qu'aucune décision n'a été prise et que nous examinons cette demande". M. Hoon ne devait donner "aucun nom d'unités, ni aucune date, ni quoi que ce soit de semblable". La seule certitude, c'est que les Américains ont besoin des Britanniques pour permettre à certaines de leurs troupes de participer à une offensive majeure contre l'insurrection à Fallouja et de tenter notamment d'arrêter le leader islamiste Abou Moussab Al-Zarkaoui, responsable entre autres de l'assassinat, il y a dix jours, de l'ingénieur britannique Ken Bigley.
La demande américaine suscite embarras et inquiétude à Londres. Y répondre favorablement, fût-ce de manière temporaire, marquerait une indéniable escalade dans l'engagement du Royaume-Uni en Irak. Pour la première fois, des soldats britanniques opéreraient dans la région la plus dangereuse, "le triangle sunnite". Jusqu'à présent, la Grande-Bretagne a limité, en zone chiite, les pertes humaines : 68 morts dans leurs rangs contre 1 087 tués, côté américain, à la date du 18 octobre.
En outre, les militaires britanniques ont toujours pris soin, dans la zone qu'ils contrôlent, de cultiver leur différence en évitant, par exemple, de recourir aux méthodes jugées trop expéditives de leurs alliés américains. "Le risque, c'est que nos soldats se trouvent associés aux méthodes américaines dans l'esprit des Irakiens", observait dimanche Robin Cook, l'ancien chef du Foreign Office.
Reste l'aspect politique du dilemme britannique. L'opposition relève que la demande américaine ne surgit pas par hasard à deux semaines de l'élection présidentielle. S'agit-il, pour l'armée américaine, de frapper un grand coup sur le terrain pour offrir une victoire politique au président sortant ? "M. Blair va-t-il décider d'aider M. Bush avant l'élection ?", demandait dimanche le porte-parole du Parti libéral-démocrate, Menzies Campbell. Tony Blair est soucieux de ne pas donner prise à ce soupçon. Un porte-parole de Downing Street a souligné, dimanche, contre l'évidence, qu'un éventuel redéploiement de troupes n'aurait "aucune dimension politique".
Jean-Pierre Langellier
Sources : Lien vers http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3218,36-383416,0.html>
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