PROTECTION OCCULTE
Des Etats et des groupes criminels ont aidé Al-Zarqaoui à devenir le maître de la terreur en Irak
TERRORISME. Un livre paru cette semaine dévoile le réseau de complicités derrière Abou Moussab al-Zarqaoui, la nouvelle idole des combattants islamistes. Les enquêtes judiciaires menées en Europe et en Jordanie révèlent que les régimes syrien et iranien ont favorisé son ascension avant qu'il ne s'implante en Irak.
Sylvain Besson
Jeudi 13 janvier 2005
Le déroulement plus ou moins sanglant des élections irakiennes, le 30 janvier prochain, dépendra beaucoup de la capacité de nuisance d'un homme: Abou Moussab al-Zarqaoui, le Jordanien dont les Américains ont mis la tête à prix pour 25 millions de dollars. Son groupe vient de montrer sa force avec l'assassinat, le 4 janvier, du gouverneur de Bagdad. Dans un message diffusé le mois dernier, Oussama ben Laden l'a nommé «émir» d'Al-Qaida en Irak et a demandé à ses partisans d'obéir à ses ordres.
Cet adoubement est une formidable consécration pour celui qui n'était jusqu'à récemment qu'un apprenti terroriste en mal de réussite. Un livre paru cette semaine retrace cette étonnante métamorphose. Son auteur, Jean-Charles Brisard, est un enquêteur privé qui travaille pour les familles des victimes du 11 septembre 2001. Il a obtenu un accès privilégié aux enquêtes judiciaires menées en Europe et en Jordanie sur Al-Zarqaoui. Elles révèlent l'existence autour de lui d'un réseau de soutien qui associe de façon surprenante crime organisé, régimes autoritaires du Proche-Orient et exaltés du djihad international.
La «carrière» d'Abou Moussab al-Zarqaoui prend son essor en 1999, lorsqu'il se rend en Afghanistan. Grâce à l'amitié d'un religieux islamiste, il approche le premier cercle des dirigeants d'Al-Qaida et rencontre Oussama ben Laden. Ce dernier lui confie la gestion d'un camp d'entraînement, vite transformé en forteresse gardée par des blindés et des équipements antiaériens. Deux ans plus tard, lorsque les forces occidentales attaquent l'Afghanistan, Abou Moussab al-Zarqaoui échappe de peu à la mort: un missile percute la maison de Kandahar où il attend Mollah Omar, le chef spirituel des talibans, en compagnie de plusieurs chefs d'Al-Qaida. Le Jordanien n'est que blessé et prend la fuite vers l'Iran.
Les enquêteurs allemands qui ont examiné son parcours affirment que le terroriste a été protégé durant plusieurs mois par les autorités iraniennes. Il a ainsi pu se faire soigner et réorganiser son groupe de partisans. En avril 2002, il est arrêté mais l'Iran refuse de l'extrader vers la Jordanie. Abou Moussab al-Zarqaoui sort de prison et poursuit sa route, libre.
A cette époque, il utilise un numéro de téléphone portable suisse, ce qui a permis aux autorités helvétiques de le localiser en Syrie, dans la banlieue de Damas, durant l'été 2002. Ce renseignement confirme les conclusions de l'enquête sur l'assassinat du coopérant américain Lawrence Foley à Amman, la capitale jordanienne. Celui-ci a été abattu de huit balles de pistolet dans son garage, en octobre 2002. Les assassins étaient des partisans d'Abou Moussab al-Zarqaoui. Selon la justice jordanienne, ils ont été entraînés en Syrie, et pas n'importe où: dans des «casernes militaires».
Comme pour l'Iran, on ne peut que s'interroger sur les obscurs calculs qui fondent la connivence du gouvernement syrien, laïc et nationaliste, avec les islamistes du groupe Al-Zarqaoui. Mais une chose est sûre: «Ces accusations sont bien plus graves que celles qui ont jamais pu peser sur le régime de Saddam Hussein [en Irak]», écrit Jean-Charles Brisard.
Par contre, c'est en Europe que le terroriste jordanien a trouvé les moyens de financer ses activités, entre 1999 et 2003. La cellule allemande de son groupe avait des contacts étroits avec des filières de fabrication de faux documents, ce qui lui permettait de gérer son propre réseau d'immigration clandestine. Les profits qui en découlaient étaient envoyés à Al-Zarqaoui. Ses partisans en Allemagne ont aussi acheté des armes en vue d'un attentat: selon les autorités, elles ont été acquises grâce aux relations du groupe dans les milieux criminels. De même, une cellule terroriste démantelée en 1999 en Jordanie s'est financée grâce à des cambriolages, l'utilisation de chèques falsifiés et les fonds récoltés dans des mosquées extrémistes en Europe.
Pour Jean-Charles Brisard, la promotion d'Abou Moussab al-Zarqaoui comme chef d'Al-Qaida en Irak marque un tournant dans l'histoire de l'organisation terroriste: «Oussama ben Laden est obligé de s'incliner devant la réalité. Sur le terrain désormais, l'islam combattant, c'est Al-Zarqaoui.» Fort de cette position, le Jordanien espère sans doute réussir là où son mentor a échoué: faire trébucher l'hyperpuissance américaine. L'Irak d'aujourd'hui semble offrir un terrain idéal pour réaliser ce rêve.
Zarkaoui, le nouveau visage d'Al-Qaida, Jean-Charles Brisard avec Damien Martinez, Paris, Fayard, 2005, 330 pages.
Le terroriste en cinq dates clés
Sylvain Besson
20 octobre 1966: Ahmed Fadel Nazzal al-Khalayleh naît à Zarka, en Jordanie. Dans son enfance, il a la réputation d'être «teigneux» et passe beaucoup de temps dans le cimetière abandonné qui jouxte sa maison.
1989: après avoir quitté son poste d'employé municipal et avoir mené une vie de petit délinquant, il part en Afghanistan. Il y découvre l'univers des volontaires arabes qui ont mené la «guerre sainte» contre les Soviétiques.
29 mars 1999: condamné en Jordanie pour un projet raté d'attentat, il est libéré après plusieurs années de prison lors d'une amnistie de détenus islamistes. Il repart ensuite en Afghanistan. Il sera désormais connu sous son surnom de Al-Zarqaoui.
5 févier 2003: le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, le décrit comme le chaînon manquant entre Al-Qaida et Saddam Hussein lors d'un discours au Conseil de sécurité de l'ONU. Inconnu jusqu'alors, il accède soudainement à une notoriété mondiale.
11 mai 2004: son groupe diffuse sur Internet une vidéo montrant la décapitation d'un civil américain, Nick Berg. Les services occidentaux qui ont analysé la voix du coupeur de tête pensent qu'il s'agit d'Abou Moussab al-Zarqaoui. Le film déclenche des réactions enthousiastes chez les partisans du djihad international.
Sources : LE TEMPS
Lien vers http://www.letemps.ch/template/international.asp?page=4&contenuPage=&article=148296&quickbar=>
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