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LE LIEUTENANT DU CHEIK OUSSAMA

Zarkaoui, le joker d'al-Qaida 
 
Depuis le 1er janvier, plus d'une centaine de personnes ont été tuées par une série d'attentats qui continuent de secouer le pays. Cette semaine, le gouverneur de Bagdad, Ali Radi al-Haïdiri, a été assassiné au nord de la ville. Derrière chacune de ces attaques plane l'ombre de l'ennemi public numéro un : Abou Moussab al-Zarkaoui. En le reconnaissant pour la première fois comme «l'émir» d'al-Qaida en Irak, Ben Laden a installé son autorité de chef militaire de l'organisation terroriste.
 
 
Al-Qaida a longtemps été réservé face à la stratégie de Zarkaoui en Irak. D'abord parce que ce pays n'a jamais constitué un véritable enjeu pour l'organisation. Dans sa première déclaration de guerre contre les Etats-Unis et l'Occident, le 23 août 1996, intitulée «Message d'Oussama ben Laden à ses frères musulmans dans le monde et spécialement dans la péninsule Arabique», Ben Laden mentionne à peine l'Irak. De surcroît, les dirigeants d'al-Qaida ont toujours ménagé l'Iran et la communauté chiite, qui constitue la majorité de l'Irak, pour préserver les quelques bastions sunnites. Zarkaoui, à l'opposé, prône en Irak la stratégie du chaos, dénonce pêle-mêle tous les complices de «l'agression» américaine, dont les Kurdes et les chiites. Dans une lettre qui lui est attribuée et qui a été saisie le 23 janvier 2004 par les forces américaines en Irak, Zarkaoui qualifie les chiites de «plus grand démon de l'humanité» pour avoir pactisé avec l'ennemi américain. Il les compare à un «malicieux scorpion» qui se parerait des habits de l'amitié pour mieux «poignarder dans le dos» les vrais représentants de l'islam que sont les sunnites. Pourtant les dirigeants de l'organisation ont longtemps considéré que la priorité de leur action n'était pas l'Irak. Ainsi un responsable d'al-Qaida en Arabie saoudite expliquait en octobre 2003, dans le magazine La Voix du Djihad, organe de presse d'al-Qaida dans la péninsule Arabique, que s'il a reçu «de nombreuses propositions pour aller en Irak», et bien que ce pays soit à ses yeux «un front du djihad» comme d'autres - pour lequel l'organisation a d'ailleurs déjà consacré beaucoup d'efforts - l'essentiel est le combat pour chasser les «infidèles» de la terre sainte, l'Arabie saoudite. 
 
 
Dans ces conditions, le ralliement de l'organisation à la stratégie Zarkaoui a été progressif. Il a résulté dans une large mesure des prises de position des religieux radicaux - en particulier Abou Qatada et Youssef al-Qardaoui - appelant au djihad en Irak puis «autorisant» les agissements du groupe de Zarkaoui, notamment les attentats suicides, les prises d'otages et les exécutions.  
 
Par ailleurs, l'arrivée massive de candidats à la guerre sainte, notable dès l'été 2003, a progressivement réduit dans les faits la marge de manoeuvre des dirigeants d'al-Qaida. Si à cette époque ils n'ont pas encore officiellement pris position sur le mouvement de «résistance», ses réseaux traditionnels de soutien et nombre de ses membres ont déjà concentré leurs activités sur la nouvelle terre de djihad qu'est devenu l'Irak. 
 
Al-Qaida n'a pas résisté à l'ascension fulgurante de Zarkaoui, ce soldat de l'islam que rien ne prédestinait à devenir un chef militaire, lui qui ne fut jamais que l'ombre de ses maîtres religieux ou militaires - à commencer par Oussama ben Laden - et qui fut toujours confiné dans les geôles de son pays ou dans un terrorisme de quartier dans sa ville natale de Zarka, en Jordanie. 
 
 
Issu de la classe moyenne jordanienne, le jeune Abou Moussab al-Zarkaoui (de son vrai nom Ahmad Fadil Nazzal al-Khalayleh) grandit dans le quartier populaire de Ma'ssoum, en périphérie d'Amman. Garçon indiscipliné et redouté des autres jeunes, l'adolescent cherche son chemin dans les ruelles de Zarka. Entre les tatouages et l'alcool, Zarkaoui est aux antipodes de l'islam radical. Il cumule les anicroches avec les autorités locales, et signe même avec la municipalité de Zarka, en 1987, un engagement à renoncer à la violence. Une promesse qui restera vaine. Six ans plus tard, après un passage par l'Afghanistan, le royaume hachémite deviendra la principale cible d'un groupe terroriste constitué par Zarkaoui avec de jeunes délinquants et d'anciens d'Afghanistan. Un an plus tard, en 1994, il est arrêté, puis condamné à quinze ans de réclusion pour sa participation à la préparation d'un attentat terroriste à Amman. «Le feu du djihad brûle encore en lui», dira l'un de ses proches. Durant son incarcération, il se forge une réputation de caïd et son charisme force le respect des autres détenus islamistes. L'«émir» de la prison centrale de Suwaqah attend impatiemment sa libération pour mettre en pratique sa singulière conception du djihad. Zarkaoui attend un signe du destin qui ne tarde pas à arriver. Seulement cinq ans après son enfermement, il sort de sa cellule à la faveur d'une amnistie du jeune roi Abdallah et fomente dès sa libération de nouvelles attaques contre le royaume hachémite de Jordanie. Traqué par le redoutable General Intelligence Directorate, les services de renseignement jordaniens, Zarkaoui fuit vers l'Afghanistan, via le Pakistan. Il rejoint dans cette région du monde l'épicentre du groupe terroriste al-Qaida et intègre le cercle des chefs opérationnels de l'organisation. 
 
 
Dans la débâcle de l'après-11 Septembre, il parvient à noyauter les mouvements islamistes kurdes et à s'approprier de nombreux réseaux opérationnels en Europe, notamment en Allemagne, en Italie, en Espagne et en Grande-Bretagne. Alors qu'al-Qaida lutte pour sa survie, Zarkaoui se forge une stature de leader terroriste et constitue «son» organisation en supplantant progressivement al-Qaida. 
 
En août 2004, le magazine de l'organisation, La Voix du Djihad, rend hommage à celui qui est devenu incontournable sur la scène terroriste internationale en le qualifiant de «cheik des tueurs». L'acte qui scelle la victoire de la ligne Zarkaoui est venu du serment public d'allégeance du groupe Tawhid Wal Djihad à Oussama ben Laden diffusé le 17 octobre 2004. Signé Abou Moussab al-Zarkaoui, «commandant du mouvement Tawhid Wal Djihad», il est sans équivoque. Il est intitulé «Le mouvement Tawhid Wal Djihad, son émir [Zarkaoui] et ses combattants ont rejoint la bannière d'al-Qaida et prêté allégeance au cheik Oussama ben Laden». Le serment de Zarkaoui se veut le symbole d'un nouveau rassemblement. 
 
 
Au-delà de son lyrisme, cette annonce vise avant tout à conforter, aux yeux des combattants en Irak et des recrues potentielles, le soutien d'al-Qaida à la stratégie mise en oeuvre par Zarkaoui. Car, en réalité, l'affiliation de Zarkaoui à al-Qaida remonte à l'année 1999, lorsqu'il rejoint l'Afghanistan avant d'ouvrir son propre camp d'entraînement, et le Jordanien a déjà prêté serment à Oussama ben Laden en 2001. L'annonce du 17 octobre scelle bel et bien l'adhésion d'al-Qaida aux orientations de Zarkaoui. 
 
Il s'impose par la seule violence 
Le texte le confirme implicitement lorsqu'il affirme que «nos frères d'al-Qaida ont compris la stratégie du groupe Tawhid Wal Djihad [en Irak] et sont satisfaits des méthodes que nous avons utilisées», et précise que le groupe de Zarkaoui s'engage à «poursuivre le djihad». Pour donner plus de résonance encore à cet engagement, Zarkaoui signe, le 19 octobre, un texte sous le nom d'une nouvelle entité, le «Comité al-Qaida pour le djihad en Mésopotamie [Irak]». 
 
 
Zarkaoui, qui pourrait presque incarner l'antithèse d'Oussama ben Laden, tant leurs origines, leur parcours, leur enseignement et leur conception du monde diffèrent, est ainsi devenu un symbole pour l'organisation elle-même, largement aidé par les circonstances. 
 
A la faveur de la seconde guerre d'Irak, ce que Ben Laden avait pu conquérir sur le terrain idéologique, Zarkaoui l'a remodelé par les armes, au point d'éclipser, peut-être durablement, le leadership de Ben Laden sur les partisans d'un islam radical et combattant. C'est par la violence de ses actions que Zarkaoui s'est imposé parmi les militants et les religieux islamistes et a pu développer et consolider ses réseaux, notamment en se substituant à l'influence d'al-Qaida sur un certain nombre de mouvements ou de cellules traditionnellement affiliés à l'organisation de Ben Laden. L'effet Zarkaoui s'étend même sur le terrain religieux, où nombre d'islamistes radicaux se positionnent désormais en fonction des derniers agissements du Jordanien en Irak. 
 
 
Zarkaoui n'est ni un mythe monté de toutes pièces par les Américains, comme on le dit parfois, ni ce «fantôme de Superman» que croient y voir certains. Pour les combattants, Zarkaoui est avant tout un chef militaire, un meneur d'hommes, et c'est pour cette raison qu'ils l'ont adopté. Pour les religieux radicaux, il est celui qui perpétue «l'esprit du djihad», incarné jusqu'alors par Ben Laden. 
 
En adoubant Zarkaoui, Oussama ben Laden reconnaît son autorité non seulement en Irak mais également sur les réseaux qu'il contrôle désormais au Proche-Orient et jusqu'en Europe. Il confie à l'adepte de la stratégie du pire le destin d'al-Qaida. Un pari risqué, dont l'enjeu concerne la survie même du réseau terroriste. 
 
SOURCES : LE FIGARO 
Lien vers http://www.lefigaro.fr/magazine/20050107.MAG0010.html>

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Modifié en dernier lieu le 13.01.2005
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