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L’OCCUPATION AMÉRICAINE EN ÉCHEC 
 
Irak, l’eldorado perdu 
 
Par Ibrahim Warde 
Chercheur au Center for International Studies, Massachusetts Institute of Technology (Cambridge), auteur de The Financial War on Terror (IB Tauris, Londres, à paraître).  
 
« Il n’y aura aucun changement dans notre déploiement militaire entre le 30 juin et le 1er juillet, sinon que nous serons là-bas à l’invitation d’un gouvernement souverain irakien, qui nous demandera de rester jusqu’à ce que les tueurs, comme ceux qui ont commis les atrocités à Fallouja, soient mis hors d’état de nuire. ». Ainsi M. Paul Wolfowitz, le secrétaire adjoint à la défense, précisait-il, le 2 avril 2004, ce que signifiait, pour les responsables américains, le transfert de pouvoir aux Irakiens. Pourtant, l’insurrection qui unit chiites et sunnites contre l’occupation, la solidarité qui entoure la résistance à Fallouja, la renaissance du nationalisme (lire Chiites et sunnites unis par le nationalisme), mais aussi le retrait des contingents espagnol, hondurien et dominicain diminuent les marges de manœuvre de Washington et l’obligent à chercher une couverture onusienne à la poursuite de sa présence militaire en Irak. En attendant, les sociétés américaines, liées directement à l’administration Bush, continuent de faire de juteux profits, même si ceux-ci sont menacés par la dégradation de la situation sur le terrain. 
 
« Un rêve capitaliste » : c’est ainsi que l’hebdomadaire britannique The Economist décrivait en septembre 2003 les nouvelles structures économiques mises en place par l’Autorité provisoire de la coalition - CPA (1) -. Une série d’arrêtés, portant la signature du proconsul américain Paul Bremer, avaient radicalement transformé le système économique irakien : les impôts étaient plafonnés à 15 les taxes à l’importation étaient supprimées (et remplacées par une surcharge de 5 ffectée à la reconstruction), le système financier et monétaire était entièrement remis à neuf ; près de 200 entreprises publiques allaient être privatisées. Bref, après plus d’une quarantaine d’années de dirigisme, le pays semblait soudain voué à devenir une vaste zone de libre-échange. 
 
Une logique quelque peu binaire permettait à M. Donald Rumsfeld de justifier cette thérapie de choc. Pour le secrétaire américain à la défense, grand ordonnateur de l’effort de « reconstruction », « les économies de marché seront favorisées, non les systèmes de commande staliniens (2) ». 
 
La réforme la plus controversée avait trait à la réglementation – ou, plus exactement, à la non-réglementation – des investissements étrangers. L’arrêté 39, daté du 19 septembre, ouvrait en effet l’ensemble du pays, à l’exception du secteur des ressources naturelles, aux investisseurs étrangers. Pour s’établir dans le pays, ces derniers n’avaient besoin ni d’autorisation préalable, ni de partenaires locaux, ni d’obligation de réinvestissement des profits. Cet arrêté, qui ne prévoyait aucun organisme ou mécanisme de contrôle des investissements étrangers, établissait des règles encore plus libérales que celles en vigueur aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni (où de nombreux secteurs, tels ceux de l’armement ou des médias, ne sont pas ouverts à la concurrence étrangère). L’arrêté allait bien au-delà des recommandations de la Banque mondiale en matière de rapatriement des bénéfices. 
 
Les entreprises multinationales avaient donc obtenu tout ce qu’elles souhaitaient ou presque. Certes, des esprits chagrins jugeaient que les réformes étaient insuffisamment hardies. Ainsi, M. Robert Barro, un célèbre économiste de Harvard, tout en saluant la « noblesse » de réformes ancrées « dans le droit et la propriété privée », déplorait que l’industrie pétrolière fût considérée comme une « richesse commune », et de ce fait soustraite aux appétits des investisseurs étrangers (3). 
 
De même, une grande firme d’avocats se lamentait de voir que « la comptabilité des entreprises irakiennes [devait] être tenue en langue arabe (4) ». 
 
Malgré ces réserves, le monde des affaires baignait dans l’euphorie : les montants évoqués pour la reconstruction étaient colossaux ; le potentiel du pays, deuxième producteur de pétrole au monde, était gigantesque. Il était question de contrats du siècle, de ruée vers l’or et d’eldorado de la libre entreprise. L’Irak allait devenir le premier « tigre » islamique et servir de vitrine et de modèle à l’ensemble du monde musulman. 
 
Il était cependant loin d’être établi que ces réformes étaient légales ou qu’elles survivraient à un retour à la souveraineté irakienne. En effet, de nombreux spécialistes, se fondant sur les conventions de La Haye (1907) et de Genève (1949), ont affirmé qu’une puissance occupante n’était pas en droit de procéder à ce type de « réformes (5) ». Mais de telles considérations n’inquiétaient pas outre mesure les dirigeants américains. Lorsqu’un journaliste interrogea un jour le président George W. Bush au sujet de la compatibilité de décisions américaines avec le droit international, le président répondit avec morgue : « Le droit international ? Il faudra donc que j’appelle mon avocat (6) ! » 
 
Ailleurs, ces questions étaient prises plus au sérieux. Des fuites dans la presse britannique révélèrent par exemple que, dès le 26 mars 2003, le procureur général lord Goldsmith avait avisé le premier ministre Anthony Blair que « l’imposition de réformes structurelles majeures allait à l’encontre du droit international (7) ». Le principal conseiller juridique du gouvernement se fondait sur l’article 43 de la convention de La Haye, selon lequel « l’autorité du pouvoir légal ayant passé de fait entre les mains de l’occupant, celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays ». 
 
Un butin de guerre 
 
Depuis la chute du régime de M. Saddam Hussein, c’est le contraire qui s’est produit. Loin d’assurer le retour à l’ordre, l’autorité provisoire a adopté une politique de laisser-faire face aux pillages et à l’insécurité, tout en déployant une énergie considérable à légiférer afin de faire du passé table rase. La question de l’avenir économique de l’Irak – mal posée et bâclée dans son exécution – avait néanmoins été longuement mûrie. L’ancien secrétaire au Trésor Paul O’Neill a révélé qu’une stratégie de capture des contrats pétroliers de l’Irak était évoquée dès les premiers jours de l’administration du président George W. Bush, donc plusieurs mois avant les attentats du 11 septembre 2001 (8). 
 
Plusieurs des principaux membres de l’administration (dont le président lui-même, le vice-président Richard Cheney et la conseillère de politique étrangère Condoleezza Rice), vétérans de l’industrie pétrolière, convoitaient les ressources d’un pays potentiellement riche, mais à genoux sous l’effet conjugué d’une épouvantable dictature, de trois guerres et de douze ans de sanctions internationales. Il allait alors de soi qu’un Irak « libéré » accueillerait ses « libérateurs » avec des fleurs. 
 
La pacification de l’Irak se révéla bien plus difficile que prévu (lire l’article de Noam Chomsky, « L’autisme de l’Empire », Le Monde diplomatique, mai 2004). A l’automne 2003, de nombreuses initiatives indiquaient que les Etats-Unis cherchaient à s’ancrer à nouveau au sein de la communauté internationale, après deux ans d’un unilatéralisme musclé. le 16 octobre 2003, ils obtenaient des Nations unies un vote unanime de la résolution 1511 légitimant leur présence en Irak. Les 23 et 24 octobre se tenait à Madrid, à leur initiative mais sous le parrainage de l’Organisation des Nations unies (ONU), une conférence de donateurs réunissant soixante-treize pays, vingt organisations internationales et treize organisations non gouvernementales. 
 
A l’issue de cette conférence, qualifiée par les Américains d’« énorme succès », 33 milliards de dollars de contributions diverses étaient collectés. Il s’agissait en réalité d’un assemblage hétéroclite et imprécis de prêts, dons, aides (souvent liées à des contrats pour les entreprises nationales) et apports bilatéraux et multilatéraux, de nombreux pays conditionnant leur aide à un retour au calme et à la mise en place d’un calendrier de transition. Au demeurant, on était loin de la somme (56 milliards de dollars sur quatre ans) jugée nécessaire par la Banque mondiale pour remettre sur pied l’économie irakienne. Mais les Etats-Unis pouvaient au moins se prévaloir d’un appui de la « communauté internationale ». 
 
Quelques jours plus tard, le Congrès américain approuvait une enveloppe budgétaire de 87 milliards de dollars pour financer les guerres d’Irak et d’Afghanistan. La coquette somme de 18,6 milliards était spécifiquement affectée aux contrats militaires et de reconstruction en Irak. Sous les pressions de la Maison Blanche, un amendement prévoyant des sanctions sévères à l’égard des fraudeurs dans les contrats publics était rejeté. Le sénateur Richard Durbin, démocrate de l’Illinois, qui venait de souligner « les très bons contacts politiques » des entreprises raflant la plupart des contrats, fit part de son étonnement : « Je ne comprends pas pourquoi on serait opposé à l’idée de poursuivre ceux qui escroquent le gouvernement et les contribuables américains en temps de guerre »… 
 
Le 5 décembre 2003, le président Bush annonçait que M. James Baker, secrétaire d’Etat du père de l’actuel président, était dépêché dans plusieurs capitales européennes – dont Paris, Berlin et Moscou – pour négocier un allègement de la dette irakienne. Officiellement estimée à 130 milliards de dollars, cette dette constituait un boulet susceptible de réduire à néant l’effort de reconstruction. Ayant par ailleurs été largement contractée par un tyran, elle pouvait de ce fait être considérée comme une « dette odieuse » injustement imposée au peuple irakien. L’envoi de M. Baker, multilatéraliste convaincu, dans les capitales du « camp de la paix » fut interprété comme un signe que les néoconservateurs n’avaient plus le vent en poupe. 
 
La réplique ne se fit pas attendre. Le jour de l’annonce de la mission Baker, M. Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la défense, signait une circulaire annonçant qu’un certain nombre de pays – parmi lesquels la France, l’Allemagne, la Russie et le Canada – n’auraient pas accès aux principaux contrats de reconstruction. Vingt-six contrats, d’une valeur totale de 18,6 milliards de dollars (15 milliards d’euros), allant de l’équipement de l’armée irakienne à la remise en état des infrastructures pétrolières, des systèmes de communication et des réseaux d’adduction d’eau et de fourniture d’électricité, seraient réservés aux soixante-trois pays de la « coalition de volontaires » qui avaient participé à l’offensive militaire contre l’Irak ou l’avaient soutenue. L’intellectuel du mouvement néoconservateur et principal architecte de l’aventure irakienne semblait à nouveau vouloir placer le « camp des modérés » devant un fait accompli. 
 
Dans sa circulaire, M. Wolfowitz prétendait que ces mesures, nécessaires pour protéger « les intérêts sécuritaires essentiels des Etats-Unis », visaient à « encourager la coopération internationale dans les futurs efforts » destinés à stabiliser l’Irak. La décision souleva des protestations prévisibles et prévues. L’Union européenne fit valoir que ces restrictions allaient à l’encontre de l’accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les marchés publics, qui interdit toute discrimination entre fournisseurs nationaux et étrangers lors de l’attribution de marchés publics. Au sein même du Congrès, l’influent sénateur Joseph Biden, démocrate du Delaware, fustigea cette « rodomontade totalement gratuite » qui ne fait « rien pour protéger nos intérêts en matière de sécurité, et tout pour nous aliéner les pays dont nous avons besoin en Irak ». 
 
La présidence entérina néanmoins cette nouvelle position, qui réveillait des blessures encore mal cicatrisées. Un an plus tôt, le secrétaire d’Etat Colin Powell avait d’ailleurs averti que ceux qui s’opposaient à la guerre « subiraient des conséquences ». Pour eux, l’heure des comptes avait donc peut-être sonné. Le porte-parole de la Maison Blanche, M. Scott McClellan, indiqua ainsi qu’il était « normal et raisonnable de s’attendre à ce que les contrats principaux aillent au peuple irakien et aux pays qui partagent avec les Etats-Unis la tâche difficile de construire un Irak libre, démocratique et prospère ». 
 
Le département d’Etat précisa aussitôt qu’il ne s’agissait pas d’une mesure d’exclusion mais d’inclusion, puisque les contrats, loin d’être uniquement réservés aux Etats-Unis, pourraient être accordés à des entreprises de soixante-deux autres pays (dont le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et la Pologne, mais aussi le Rwanda, Palau ou Tonga). Magnanime, le Pentagone ajouta que la liste des pays partenaires de la coalition restait ouverte, et que ceux qui l’intégraient pouvaient à l’avenir être également éligibles (9). 
 
Rejetant les accusations de protectionnisme, et reflétant une fois de plus une approche décidément sélective du droit international, le porte-parole du représentant américain pour le commerce, M. Robert Zoellick, indiqua que « les contrats conclus pour le compte de l’Autorité provisoire de la coalition (CPA) ne sont pas couverts par les obligations en matière d’appels d’offres internationaux, parce que la CPA n’est pas une entité concernée par ces obligations ». 
 
Il revint au président Bush d’exprimer le plus clairement la position de son administration : « Le niveau des dépenses de dollars américains reflétera le fait que des troupes américaines et autres ont risqué leur vie. C’est très simple : les nôtres ont risqué leur vie, ceux de la coalition amie ont risqué leur vie, et, donc, les contrats refléteront cet état de fait, et c’est d’ailleurs ce à quoi les contribuables s’attendent. » L’administration avait longtemps tu les aspects mercantiles de la guerre d’Irak, pour ne parler que des armes de destruction massives ou de la libération du peuple irakien (10). Désormais, le président des Etats-Unis ne cachait plus qu’il était juste que les gros contrats soient considérés comme butin de guerre. Les dividendes devaient être à la mesure du sang versé. 
 
Capitalisme de compères 
 
Aux Etats-Unis mêmes, la controverse sur les contrats de reconstruction ne cesse cependant d’enfler. Tous les jours, des révélations viennent confirmer que gabegie, conflits d’intérêts, abus de confiance, détournements de fonds, surfacturation, travail bâclé sont de mise. Le butin est accaparé par un nombre restreint d’entreprises américaines, toutes proches de l’administration Bush. Même les fidèles alliés britanniques s’avouent dépités : leurs contrats sont réduits à la portion congrue, et leur gouvernement doit quémander discrètement auprès de son homologue américain quelques mesures de « discrimination positive (11) ». 
 
D’après un rapport du Center for Public Integrity, les soixante et onze sociétés et entrepreneurs qui ont obtenu des contrats pour la reconstruction de l’Irak et de l’Afghanistan ont versé plus de 500 000 dollars aux campagnes électorales de M. George W. Bush – davantage qu’à tout autre homme politique au cours des douze dernières années. Selon ce rapport, « neuf des dix plus importants marchés (…) sont allés à une société employant d’anciens responsables du gouvernement ou dont les dirigeants sont proches des membres du Congrès, voire des agences qui attribuent les contrats ». Selon M. Charles Lewis, le directeur du centre, « aucune agence fédérale n’a supervisé et contrôlé l’ensemble de la procédure d’attribution des marchés, ce qui montre combien ce système est susceptible de favoriser le gaspillage, l’escroquerie et le copinage (12) ». 
 
Malgré les promesses de transparence, les contrats les plus lucratifs ont été attribués sans adjudication publique. Le juteux marché de la reconstruction de l’Irak est presque totalement entre les mains de sociétés américaines, au premier rang desquelles se trouvent Halliburton (ingénierie pétrolière), à travers sa filiale Kellogg Brown & Root (KBR), et Bechtel (bâtiments et travaux publics), toutes deux très proches des faucons au pouvoir à Washington. Elles ont, il est vrai, une certaine expérience de l’Irak. En 1983, Bechtel, à l’époque très proche de l’administration Reagan, avait déjà obtenu de construire un oléoduc en Irak, un accord négocié directement auprès de M. Saddam Hussein par M. Donald Rumsfeld, l’actuel secrétaire à la défense. Quant à la société Halliburton, dont le vice-président américain Richard Cheney était le PDG de 1995 à 2000, elle avait obtenu une dérogation spéciale pour poursuivre ses activités en Irak malgré le régime de sanctions internationales. 
 
Halliburton est devenue le symbole du capitalisme de compères à l’américaine. Ainsi que l’a révélé le représentant Henry Waxman (démocrate de Californie), un contrat pour la réparation des puits de pétrole passé sans appel d’offres entre le corps des ingénieurs de l’US Army et la société KBR a représenté un engagement à très long terme. En plus de la remise en état des puits, KBR a obtenu de gérer ces installations et de vendre leur production. Autant dire qu’elle devient concessionnaire d’une partie des réserves de pétrole irakiennes. 
 
Mieux, selon M. Waxman, le financement de ce contrat aurait été prélevé sur le fonds des Nations unies « Pétrole contre nourriture », promptement rebaptisé « Fonds de développement de l’Irak ». De nombreuses lois et réglementations paraissent avoir été rédigées spécifiquement pour protéger de tels investissements. Ainsi, le 22 mai 2003, M. Bush a signé le décret 13303, qui protège l’ensemble de l’industrie pétrolière contre « tout arrêt, jugement, décret, droit de rétention, procédure et ordonnance de saisie ou toute autre mesure judiciaire ». Selon M. Tom Devine, directeur légal du Government Accountability Project, « l’industrie pétrolière s’est trouvée ainsi placée au-dessus de la loi, qu’elle soit américaine ou internationale (13) ». 
 
Protégées contre le risque juridique, Halliburton et sa filiale l’ont aussi été contre le risque financier. Leurs contrats furent en effet négociés sur des bases telles que l’« indefinite quantity/indefinite delivery » (IQID, c’est-à-dire « en quantité indéfinie et suivant une livraison également indéfinie »). Il s’agit de procédures justifiées par l’urgence ou l’incertitude, qui permettent à l’entreprise de facturer tous ses coûts au gouvernement, en y ajoutant une marge bénéficiaire qui va en général de 1 7 14). Ces procédures ouvrent la porte à tous les abus et à tous les conflits d’intérêts. 
 
A deux reprises, Kellogg Brown & Root a été prise la main dans le sac. Elle avait d’abord gonflé le prix de l’essence importée en Irak de plus de 60 le gallon (un peu plus de 3,5 litres), acheté 70 cents au Koweït, était revendu à l’armée américaine au prix de 1,59 dollar, pour un surcoût total de 61 millions de dollars. KBR se défendit en invoquant le coût du transport (or le Koweït se trouve aux portes de l’Irak) et les risques encourus. Quelques semaines plus tard, l’entreprise était accusée d’avoir surfacturé pour 16 millions de dollars des repas servis aux soldats américains. Un rapport du Pentagone sur les performances de KBR (comme sur celles de Bechtel) parle au demeurant de travail bâclé (15). De telles révélations ne constitueraient que la partie visible de l’iceberg. 
 
Le gouvernement des Etats-Unis s’est contenté d’ouvrir des enquêtes, de créer de nouvelles structures d’audit et de promettre plus de transparence. Mais KBR n’a jamais cessé d’engranger les contrats et de s’enrichir à bon compte sur le dos des contribuables américains et du peuple irakien. Le vice-président comptera, lui, au nombre des bénéficiaires de cette manne : M. Cheney a touché des « revenus différés » de Halliburton au cours de ses premières années à la Maison Blanche (150 000 dollars en 2001, 160 000 dollars en 2002, 178 000 dollars en 2003), et il détiendrait toujours quelque 433 000 actions de la société, dont la valeur dépend évidemment des bonnes affaires du groupe (16). 
 
La frontière entre politique et affaires est de plus en plus floue ; les contrats irakiens sont perçus comme un moyen d’enrichissement rapide. M. Richard Perle avait déjà joué habilement de sa double casquette. Dans son rôle de président du comité consultatif du Pentagone, il était l’avocat le plus fougueux d’une extension de la guerre à l’Irak (ainsi qu’à d’autres pays) ; en tant que citoyen privé, il avait fondé Trireme International, une société de capital-risque dont le but était de tirer profit des conflits militaires (17). M. Joe Allbaugh, l’ancien directeur de campagne de George Bush en 2000, a fondé New Bridge Strategies, en vue de faciliter l’obtention de contrats en Irak. L’ancienne firme d’avocats de M. Douglas Feith, numéro trois du Pentagone et néoconservateur de choc qui supervise directement la reconstruction, fait le même effort. 
 
On retrouvera sans doute la même « politisation » au sein des entreprises irakiennes. Sur les 115 projets répertoriés fin 2003 par l’Autorité provisoire, 25 seraient attribués à des entreprises irakiennes. Mais, dans une économie dépouillée de toutes ses protections, il est probable que seuls des initiés, des proches des forces d’occupation ou du Conseil intérimaire de gouvernement irakien (CIG), dont les vingt-cinq membres ont été nommés par les Américains, bénéficieront de l’attribution de contrats. 
 
Et le peuple irakien ? A entendre les discours officiels, il serait l’ultime bénéficiaire du nouvel ordre. Les dirigeants des Etats-Unis n’ont cessé de l’encourager à tirer profit du climat de « liberté » économique. Ainsi, le secrétaire au commerce, lors d’une brève visite dans le pays, s’est extasié devant « le progrès phénoménal » qu’il a pu mesurer sur place et a salué l’esprit d’entreprise ambiant, dont il aurait fait l’expérience directe. Pour bien se faire comprendre, il relata une histoire touchante à un journaliste vedette de CNN, au demeurant connu pour sa disposition à relayer la propagande gouvernementale : « Je me suis arrêté sur le bord de la route et j’ai acheté un Coca-Cola à un jeune garçon, un jeune entrepreneur (18). » 
 
L’Irakien moyen n’a pas encore motif à se réjouir que son pays soit devenu un eldorado du libre-échange. L’injection de fonds importants dans une économie malade, les difficultés économiques – inflation, rationnement, pénurie de pétrole, et surtout chômage – ont amplifié le chaos et les problèmes de sécurité. Les « dégraissages » dans les administrations publiques et le démantèlement de l’armée ont gonflé les rangs des demandeurs d’emploi. Des lois ultra-libérales permettent aux entreprises d’importer à leur guise de la main-d’œuvre et d’exporter sans aucune restriction leurs bénéfices. Les officiels américains ont beau assurer que les « perturbations » sont le fait d’« étrangers infiltrés », la confiance entre les Irakiens et les sociétés chargées de la reconstruction ne règne pas. Lorsque l’omniprésente Kellogg Brown & Root gère l’alimentation des troupes américaines, ses sous-traitants sont saoudiens et les employés en majorité indiens ou bangladais. Les Irakiens sont exclus. La raison invoquée ? Ils pourraient chercher à empoisonner les troupes (19). 
 
(1) « Let’s all go to the yard sale », The Economist, Londres, 25 septembre 2003 
 
(2) Daphne Eviatar, « Free-Market Iraq ? Not so fast », The New York Times, 10 janvier 2004. 
 
(3) Robert J. Barro, « A step in the right direction for Iraq », Business Week, New York, 5 avril 2004. Quatre ans plus tôt, dans le même hebdomadaire, Robert Barro avait estimé que « nul n’a fait davantage que Pinochet et ses conseillers pour démontrer la supériorité de l’économie de marché ». 
 
(4) Pillsbury Winthrop LLP, « Reconstruction of Iraq », International Trade News Brief, 23 septembre 2003. 
 
(5) Voir Alan Audi, « Iraq’s new investment law and the standard of civilization », Georgetown Law Journal, volume 93, n° 1, 2004. 
 
(6) « Boomerang diplomacy », The Washington Post, 12 décembre 2003. 
 
(7) John Kampfner, « Blair was told it would be illegal to occupy Iraq », New Statesman, Londres, 26 mai 2003. 
 
(8) Ron Suskind, The Price of Loyalty : George W. Bush, the White House and the Education of Paul O’Neill, Simon and Schuster, New York, 2004, p. 96. 
 
(9) The Washington Post, 10 décembre 2003. 
 
(10) Lire « L’ordre américain, coûte que coûte », Le Monde diplomatique, avril 2003. 
 
(11) Terry Macalistair, « Leak reveals ministers’ fears over Iraqi contracts : campaign to stop British firms being cut out by US », The Guardian, Londres, 13 février 2004. 
 
(12) Center for Public Integrity, Winfalls of War. US Contractors in Iraq and Afghanistan, octobre 2003. 
 
(13) « The Government Accountability Project Challenges Bush Executive Order 13303 Granting Blanket Legal Immunity in Iraqi Oil Commerce », 15 août 2003 
 
(14) George Anders et Susan Warren, « For Halliburton, Uncle Sam brings lumps, steady profits », The Wall Street Journal, 19 janvier 2004. 
 
(15) Paul Krugman, « Patriots and profits », The New York Times, 16 décembre 2003. 
 
(16) L’action Halliburton avait plafonné à 54,69 dollars en septembre 2000, avant de tomber à 9,10 dollars, son niveau le plus bas, en juillet 2002 ; elle se situe aujourd’hui aux alentours de 30 dollars. 
 
(17) Une cascade de révélations sur son affairisme le conduisit cependant à quitter la présidence de ce comité, et plus récemment à en démissionner. 
 
(18) M. Don Evans, interrogé par Wolf Blitzer, CNN, 19 octobre 2003. 
 
(19) « Jobs for the boys – and for foreigners », The Economist, Londres, 9 octobre 2003. 
 
Lire aussi : Chiites et sunnites unis par le nationalisme 
 
Sources ; Lien vers http://www.monde-diplomatique.fr/2004/05/WARDE/11158> 
 
 
 

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Modifié en dernier lieu le 21.11.2004
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